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Cuatro escenas negras | Quatre scènes noires
vidéo de Carlos Franklin – musique d’Alberto Posadas
Consacrée à la notion de complexité dans les arts et la science, cette nouvelle édition du festival ircamien aura fait une place toute particulière à l'image. Que l'on en juge : une rétrospective intégrale de l'œuvre du cinéaste Lars von Trier (incluant essais de jeunesse, travaux d'étudiant, films publicitaires et même un échange avec le public en visioconférence), une installation interactive qui joue avec les gestes du spectateur (If / Then : installed), la création d'une musique originale de Mauro Lanza et d'Olivier Pasquet pour le film suédois Häxan (1921), celle d'images en temps réel, concoctées par Pierrick Sorin, pour l'ouvrage de Gérard Pesson [lire notre chronique de la veille] ; etc. Quelques jours après le projective opera de Parra qui opposait la rigidité d'un pont à l'univers fluide et mouvant d'une cinquième dimension (kaléidoscope de rosaces bleu-vert, gouttelettes irisées, etc.), voici un autre projet original associant musique et vidéo, d'une densité et d'une gravité prenantes, commandé à l'Espagnol Alberto Posadas (né en 1967) et au Colombien Carlos Franklin (né en 1979).
Cuatro escenas negras (Quatre scènes noires) à pour origine l'œuvre de Goya, et plus précisément les Peintures noires (1819-1823), une série de quatorze fresques destinées à décorer la nouvelle maison acquise par l'artiste, non loin de Madrid. C'est après la mort du peintre qu'elles trouvèrent un nom (1828) et furent transférées sur toile (1873). La déchéance physique de leur créateur et l'instabilité politique de l'époque sont généralement avancées pour expliquer ces œuvres à l'ambiance plutôt nocturne, aux figures décentrées. Átropos ou Las Parcas (Les Parques), Saturno devorando a un hijo (Saturne dévorant un de ses fils), Perro semihundido (Tête de chien) ou plus simplement El perro (Le chien), ainsi que Duel a garrotazos ou La riña (Deux hommes luttant / La rixe) [photo] sont les fresques auxquelles se réfèrent le titre donné.
Les cordes de L'Itinéraire installent d'emblée un climat doux-amer qui, appuyé par certains contrastes à venir (sons acoustiques cristallins / sombres échos électroniques), dessine une espèce de Purgatoire dont on ne saurait dire où il mènera. Spectrales à la manière de Murail par certains aspects, rugueuses par d'autres, les quatre scènes – encadrées par un prélude et un postlude, et entrelacées à trois interludes – transposent la frénésie, la désolation ou la violence picturale de Goya, précurseur de l'expressionnisme. Frise mouvante surplombant Mark Foster et ses treize musiciens, l'écran délivre de belles trouvailles : dominantes gris et ocre, références telluriques (terre, fumée, branches), corps soumis à des camouflages numériques, mais surtout superpositions et fondus enchainés délicats qui complètent l'hypnose musicale.
En prélude à ces quarante minutes de spectacle, Irvine Arditti reprend la pièce pour violon de Francisco Guerrero (1951-1997) qu'il avait créée à Bruxelles, le 18 mars 1995. Très en relief et en sentiers caillouteux, Zayin VI (Zayin signifie 7 en hébreu, chiffre féminin par excellence) rebondit, mord, racle, frotte, écorche, couine, halète et s'essouffle. C'est énergique… autant que bavard.
LB